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EPIDEMIES
ET FAMINES : La
première mention d’une épidémie ayant touché les environs de
Sévignac,
c’est celle qui serait advenue au cours du Xème siècle.
En effet, la peste aurait alors ravagé
la paroisse de Plumaugat, au point que celle
de Rougeul alors située en la partie méridionale de Plumaugat
aurait été purement et simplement rayée de la carte et rattachée à
Plumaugat. Vers 1150,
les chroniqueurs sans doute excessifs relatèrent qu’un mauvais
vent soufflait sur la Bretagne toute entière, et qu’une terrible famine
ravagea le duché tout entier, au point, raconte-t-on, que l’on vit de
malheureux affamés manger de la terre et même dévorer leurs propres
enfants . Des fontaines
aussi ont laissé coulé le fluide de vie, signe certain de désolation.
Une guerre civile se préparait, le duc,
un certain Conan IV le Petit, préféra capituler face au puissant
duc d’Anjou Henri Plantagenêt. C’est
peut être cette famine conjuguée à la guerre civile qui aurait eut pour
conséquence l’épidémie de peste qui survint sur toute notre contrée,
un quartier de la paroisse de Sévignac fut cependant
épargné : Rouillac. Reconnaissants
à l’égard de Saint-Sébastien auquel on prêtait alors la vertu de
protecteur contre la peste, les
Rouillacais lui auraient dédicacés
la petite chapelle qu’ils érigèrent au centre de leur bourg. Une
autre guerre civile survint à la mort du duc Jean III en 1341, deux
partis s’opposèrent pour prendre le pouvoir : les Penthièvre et
les Montfort, prélude de la
guerre de 100 ans, la guerre
de succession de Bretagne coïncida avec l’arrivée de la peste Noire. Près d’un tiers des Européens périrent, soit près de 13 millions d’individus. On ne trouvait plus personne, pour enterrer les victimes, de plus le commerce était touché, l’économie paralysée, et la terreur aidant, on enfermait toutes les familles dont un des membres avait été frappé. La fin du monde semblait proche, aussi les rescapés se mariaient-ils à tour de bras. Peu à peu, la vie reprit son cours, la guerre aussi. Nous l’avons vu ci-dessus, la lèpre faisait également beaucoup de ravages, cette infection s’était accrue depuis l’époque des Croisades, chaque paroisse était concernée, les nombreux lieux dits maladrie évoquent la lèpre. Dès la fin du XVIème siècle, la peste toucha St-Juvat de 1583 à 1585, puis en 1607, 1630, 1637 & 1638. St-Jouan de l’Isle fut touché par la peste en 1625, il y eut 54 morts entre le 26 septembre et le 30 novembre, en août 1638 elle revint. A Guenroc, les hameaux où sévit la maladie de 1638-1639 sont connus : Beaumelin, la Ville au Beau, les Noës, la Touche. Une croix dressée au hameau de Beaumelin marque l’emplacement du cimetière où furent enterrées les victimes, le bois voisin porte depuis le nom de Bois du Défat. D’autres croix sont visibles dans nombre de localités, à Trébédan la croix des Landes est une croix de pestiférés. Le pays de Lamballe a aussi souffert de l’épidémie de 1631 à 1640, à La Bouillie les registres paroissiaux de notent plus de 100 décès dus au « mal » qui répand la terreur en moins d’un an (1631-1632), pour une population de 600 habitants environ. De mai 1632 à avril 1633, la peste sévit également à Merdrignac, pour conjurer le sort, on érige une croix. Au Lantran à Plouasne, on fait de même, une croix, marque l’emplacement d’un cimetière désaffecté. Le 22 août 1638, lors de la messe, le recteur de la paroisse de Plouasne lit en chaire une ordonnance du Parlement dont l’exécution entraîne pour la communauté une importante dépense. Une foule de paroissiens l’interrompt et menace de jeter chaire et recteur dans un ravin marécageux proche de l’église, et le prêtre ne trouve son salut que dans la fuite. « Le bruit estoit sy grand que l’on eust dit que la soulle eust esté jettée. » Une note signale que « les hopitaulx en ce pays et duché de Bretagne par cy davant ayant esté mal administrez. » Outre la mauvaise administration des établissements, il convient d’admettre la mauvaise formation des médecins, un certain Pierre Brunet, à Merdrignac dans les années 1630, prétend à une douteuse double profession de « chirurgien et de médecin mesme » . Pourtant le dit Brunet grâce à une pratique jugée satisfaisante, est au bout de 20 ans d’expérience considéré comme un expert. Bien souvent les diagnostiques sont approximatifs, untel malade est isolé « pour cause de maladie extraordinaire. » ou encore « atteint d’une maladye incognue aux médecins. » Parfois, on suppose que « les pauvres sont « mallades par la nécessité et incommoditez qu’ilz endure à cause de la disette notoire des bledz, manquement de nourriture que de loyer et couvert, vestements d’habitz, et dont les maladyes peuvent augmenter par les chaleurs de l’esté qui est proche, et se rendre contagieuse. » Des mesures sont prises, ont interdit certaines fêtes, les sessions de justice, et autre rassemblement de foule, les autorités postent des gardes aux entrées des villes. Draps, vêtements usagés, paille et foin sont brûlés, le pain chaud, les concombres sont bannis des tables. Mais ces mesures s’avèrent vaines, en septembre 1626 à Dinan, certains cadavres restent quatre ou cinq jours sans sépulture « exposéz aux loups et aux chiens. » Les enterrements se font dans les jardins, les champs et à la rigueur dans les cimetières quand ils ne sont pas remplis. Dans
les années 1620-1640, les inhumations nocturnes semblent de règle. Des
paroisses comme Trémeur ou Mégrit procède à l’aménagement d’ossuaire,
sans doute par manque de place, à Broons, on réorganise le cimetière dans la
seconde moitié du XVIIème siècle. Une curieuse épitaphe subsiste, incorporée
dans le mur de l’actuel cimetière Broonais : PRIEZ
POUR LES TREPASSES Dans cette localité, il semble que pour la période allant de 1605 à 1637, les sépultures aient été nombreuses dans le cimetière de la chapelle de Lesliens. Plénée à recours à la bénédiction d’un nouveau cimetière en juillet 1684, « sis à huit minutes de marche de l’église, autour de laquelle le premier se situait, était devenu trop exigu ». Bref, autant d’indices qui plaident en faveur de mortalité élevée. Le recteur Thé de Trémeur, consigne de sa plume que « l’été de 1705 fut signalé par des chaleurs extraordinaires ; presque toutes les fontaines desséchèrent. Depuis mai jusqu’à la mi-aôut, il ne tomba point de pluie. Et chose extraordinaire, la récolte fut abondante et les grains assez gros. La chaleur était tellement forte que le suif et la chandelle fondaient dans les lieux les plus obscurs et les plus ombragés. Un incendie général se déclara dans la forêt de Boquen sans que personne y mit le feu. » Deux ans plus tard, il poursuit : « depuis le 9 janvier 1705, une certaine fièvre sévit toute l’année et fit mourir beaucoup d’hommes et femmes de mes voisins. Durant la guerre de Philippe roi d’Espagne, on augmenta d’un quart l’impôt des fouages sur la roture. On conservoit en plus l’impôt du sang et de la capitation. L’hiver fut pluvieux, l’été desséché par les ardeurs du soleil et la monnaie était très rare. Du 6 janvier au 22 février 1709 inclusivement, le temps fut au sec. Le froid était tellement intense, que deux pieds de neige couvraient le sol, les chênes, çà et là fendaient ; bien plus que les pierres se fendaient. Beaucoup mourraient de froid et d’autres furent dévorés par les loups sortis des forêts par la faim. On vit même des oiseaux de même espèce, se tendre des embûches et la pie dévorer la pie, tant elle avait faim. Une troupe de cygne, vola jusque dans nos parages, et se reposa sur les bords de la rivière. A deux reprises, le froid survint avec la même intensité. Vers le 12 mars, la chaleur du soleil fit fondre la glace peu à peu. Les moissons périrent. Tout le monde se plaignait ; le boisseau de froment-mesure de Broons- valait 10 l, et la pipe de pois chiches 30 l. » A Sévignac dans le registre des sépultures on relève à l’année 1710 : Jules Briand, est mort le 27 novembre, d’une fièvre colique en deux et demy jours, sans avoir pu recevoir les Saints Sacrements de l’Eglise, la douleur lui ôtant le jugement. Il a esté ensépulturé dans l’église de céans. » Sans nul doute, les méfaits de la guerre conjugués aux abus d’un pouvoir absolu y sont pour beaucoup dans les malheurs qui s’abattent sur les plus démunis. Au début du XVIIème siècle, du fait des impôts qui les écrasent, certains propriétaires refusent tout défrichement, tout habitat nouveau, et la surface boisée n’a guère diminués qu’au profit des landes. Sévignac n’est cependant pas trop à plaindre « c’est un terroir comprenant des terres bien cultivées, des prairies, des landes et beaucoup d’arbres fruitiers. » Cependant, toute médaille à son revers, aussi tandis qu’advient une disette, les habitants de Sévignac sont invités à ouvrir coffres et caisses, et de faire ainsi preuve de solidarité. Pourtant, sur les marchés, dans les foires, de nouveaux produits auraient pu apparaître, la pomme, la pomme de terre… La pomme, on l’a adoptée dès la fin du siècle précédent, en pleine guerre de la Ligue, et peu à peu, le cidre s’est substitué à la cervoise et à la vinasse que l’on servait alors dans les auberges. Pour le tubercule venu d’Amérique, les préjugés sont plutôt hostiles : la pomme de terre donne la peste, c’est tout juste bon à donner aux cochons ! »Le recteur Ravaudet, successeur de messire thé, poursuit les notes entreprises par ce dernier : « Cette année le froment a valu depuis la Saint-Jean jusqu’à 16 ou17 l. Le boisseau, -mesure de Dinan. La disette de blé fut si grande que Mgr l’évêque de Saint-Malo en fit venir d’Angleterre plusieurs barques chargées, qui firent subsister sa ville épiscopale et les localités voisines. Les pauvres gens ont d’autant plus souffert dans cette disette de grains, que le fil et autres marchandises étaient à vil prix, ce qui a fait que dans cette paroisse deTrémeur, où la misère fut moins grande qu’ailleurs, quelques uns n’ont subsistés pendant plusieurs mois que de choux, d’herbes cuites et de laitages et plusieurs m’ont avoués avoir été trois jours sans manger, sans en avoir été par trop incommodés. La récolte fut beaucoup retardée à cause de la pluie continuelle qui dura depuis les débuts du mois d’août jusqu’à la Saint-. Michel. On avait la douleur de voir les blés pourrir avant d’arriver jusqu’à maturité. On ne voyait presque point de blé au marché. Au milieu de toutes ces misères, les riches ouvrirent leurs greniers et leurs bourses et se montrèrent sensibles aux misères de tant de malheureux. Dans cette même année, on vit périr à Trémeur, depuis le bas âge jusqu’à vingt et quelques années, un grand nombre de personnes par la petite vérole. » L’escadre du comte du Bois de La Motte à son retour de Duisburg en 1757 fait escale à Brest, les matelots sont contaminés et bientôt, le pays de Lamballe sera touché à sont tour.
C’est
vers la fin de l’année 1757 que le docteur Desfontenelles alors en
poste à Plénée-Jugon, constate que les premiers malades apparaissent.
Messire Chesnay, recteur de la paroisse écrit alors au subdélégué de
Lamballe, Micault de Soulleville, afin
de l’avertir de la situation et réclamés
des secours urgents. Après en avoir référé à l’intendant Le
Bret, Micault de Soulleville envoya à Plénée le Dr Moucet, médecin du
Roi à St Malo, le 4 Mars
1758. Très vite celui-ci se
mit au travail assisté de deux chirurgiens de Lamballe : Leblanc et
Bardet. A
Broons, c’est le chirurgien Jagu qui va soigner. Les
symptômes furent recueillis : frissons violents, maux de tête,
sentiment d’apathie, parfois, les cas les plus graves s’accompagnaient
de nausées, vomissements, diarrhée, vers intestinaux jusqu’aux saignements de nez et apparition d’éruptions
cutanées. Le docteur Moucet
et ses assistants prennent des mesures, ils pratiquent les saignées comme
c’était la coutume répandue alors, des vermifuges sont prescrits. Nos
praticiens vont de villages
en villages, dans toutes les parties de la paroisse, des villages entiers
sont affligés par le mal. On trouve des six ou sept dans une maison, des
deux ou trois par lits, ou sur la paille.
Tous les malades ne font pas cependant appel aux praticiens, on
craint en effet de devoir payer, des soins qui en réalité sont gratuits.
On organise des secours, des
bouillons, du pain et de la viande sont distribués par les notables et
quelques bonnes âmes charitables, mais le mal
progresse, Le Gouray est à son tour victime de l’épidémie.
L’évêque de Saint-Brieuc écrit à l’intendant pour réclamer
des secours plus importants, afin de se rendre compte par lui-même de la
situation, l’intendant Le Bret se rend sur place, avec lui il emmène le
docteur Busson, médecin de la faculté de Paris. Tous se réunissent au
presbytère de Plénée avec l’ensemble des recteurs des paroisses
voisines, pour fait le point et prendre des mesures. Déjà
depuis le début de l’épidémie, Plénée compte 130 morts, et ce
n’est pas tout, elle continue de faire ses ravages, du 7 au 12 avril déclare
le Dr Moucet au subdélégué, nous avons eut 18 morts de plus, toutefois,
au début du mois de mai, une lettre qu’il envoie à l’intendant
laisse entendre que la maladie commence à décliner. Hélas, c’était
crier victoire un peu tôt, Le 9 avril, la situation s’aggravant, on dépêche
le Sr de Montigny, chirurgien à Jugon.
Langourla touché par
l’épidémie voit l’arrivée d’un charlatan nommé Pellerin, mais
c’est Dufresne, qui va se rendre chez un dénommé Jean Lucas,
afin de pratiquer chez ce défunt une autopsie.
Le
docteur Moucet qui avait été rappelé à Lamballe doit revenir à Plénée
où la situation devient catastrophique, le Sieur Bardet,
chirurgien est mourant, ainsi que le docteur Desfontenelles, et le
22 mars, ordre est donné de réquisitionner aux maîtres de postes de la
route de Rennes à Broons, pour leur procurer des chevaux.
Le syndic de Broons est même réquisitionné afin d’emmener les
deux chirurgiens à Plénée. On
adjoint alors au Dr Moucet deux chirurgiens, Rapatel et
Dufresne. Rapatel
étant lui-même victime du mal au début d’avril, on appelle Le Sabde,
chirurgien à Lamballe ; Labadens de Lamballe ; Gambier de
Plancoët ; Gauvin ; Lanoë, aide chirurgien de Rennes et
Chevallier, qui restera en
place jusqu’à la fin. L’effectif
mobilisé fut très important, un médecin et douze chirurgiens,
toutefois, à leur tour, Montigny,
Le Sabde & Labadens sont touchés.
A
l’évêque de Saint-Malo qui s’inquiétait de l’état des
paroissiens de Sévignac, ressortant de son évêché, le docteur Moucet
lui dépêche une missive
afin de le rassurer. Monseigneur Le
bruit s’étant répandue parmy le peuple que la maladie de Plenée avoit
pénétré en sévignac et qu’elle commeçoit à désoler la paroisse,
je me transportay mardy dernier sur les lieux pour le vérifier. Je fûs
chez monsieur de recteur qui m’assura qu’il n’y avoit en toute la
paroisse quoy qu’aussi grande que Plenée, que trente malades, dont
seulement quelques uns avoient la maladie contagieuse. Depuis le deernier
mardi ordinaire, il ne s’est rien passé qui mérite d’en instruire
votre grandeur. Le Sr Rapatel est tiré d’affaire, le Sr Le Sabde autre
chirurgien est très mal et j’ignore l’évênement du mal. Le Sr
Labadens leur confrère a esté aujourd’huy atteint de kla maladie régnant J’ay
l’honneur d’estre avec le plus profond respect
Monseigneur de
votre grandeur à
Plénée le 21 avril
1758
le très humble et très obéissant
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