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Saint-Brieuc au XIXème siècle

mardi 11 septembre 2012, par Michel LE CHAPELIER
MOTS-CLÉS :  / Communes22

 

Dans quel cadre nos grands-parents vivaient-ils leur jeunesse à Saint-Brieuc ?

(Article paru dans le N° 63 de notre revue Généalogie 22)


Saint-Brieuc, cité gentille, disons-nous. Que penseraient nos aimables contemporains, parfois si pointilleux sur la propreté de nos rues, quitte à y promener Toutou, si d’un coup de baguette magique, ils se retrouvaient au centre ville, à l’époque où leurs grands-parents étaient gamins, ici ou ailleurs.

 

Bien entendu, pas d’électricité, des lampes à huile ou des bougies ; pas de radio ni de télé, mais un crieur public et les propos de bistros pour les informations, le bouche à oreille en quelque sorte. Pour la classe aisée, il y avait les clubs de lecture ou l’abonnement à des journaux pour les plus fortunés.

 

La circulation dans nos rues étroites se faisait au pas des chevaux ou de l’homme, elle n’était guère plus facile qu’aujourd’hui. Les rues étaient encombrées par des dépôts de marchandises, de matériaux ou de détritus de toute nature et, assez souvent, de charrettes stationnées en contradiction formelle des règlements de police tatillons et pourtant suivis d’amendes innombrables. Jeter de l’eau par la fenêtre, porte laissée ouverte au-delà de 20 heures, l’ivresse, le vagabondage et la mendicité étaient régulièrement sanctionnés par le tribunal de simple police de 1 à 10 francs or, par incartade au règlement.

 

L’eau était à quérir à la fontaine, souvent polluée ; là il fallait attendre son tour. Si on ne subissait pas les gaz d’échappement, on supportait les nuages de fumée et de poussière provenant des fours à chaux disséminés dans la ville. Quant aux odeurs, il n’en manquait pas de déplaisantes car on trouvait des dépôts d’os, de chiffons, de peaux, dans de nombreuses rues ; au centre ville, on élevait des porcs dans les cours où le fumier restait, y compris la rue St-Guillaume par laquelle se faisait tout le trafic hippomobile entre Rennes et Brest.

 

Quelques ruisseaux fangeux avaient été plus ou moins canalisés et recevaient les divers écoulements diurnes et nocturnes, directement ou par l’entremise des rues et venelles qui jouaient le rôle d’affluents. Que dire des marchés aux viandes et aux poissons ?

 

 

Nous avons une petite idée de l’agrément de ce temps-là en feuilletant les registres du conseil d’hygiène publique et de salubrité (vaste programme) pour la période du 7 mai 1849 au 18 mai 1865.

 

A la lecture de quelques extraits, nos concitoyens les plus ronchons seront obligés de convenir, à travers la succession des municipalités, que nos édiles ont manifestement amélioré notre cadre de vie.

 

Abattoirs (page 55)  : … à part quelque sol terrassé dans lequel on pratique un trou destiné à recevoir le sang ; le lavage ne pouvant s’en effectuer qu’imparfaitement, il s’en exhale presque constamment une odeur méphitique.
Il existe dans les cours des bouchers des fosses ou réservoirs qui contiennent, avec les fumiers des écuries, du sang et des issues d’animaux qui donnent lieu à des émanations putrides qui, non seulement compromettent la santé des personnes qui se trouvent dans leur voisinage, mais encore peuvent, dans certaines circonstances, porter une grave atteinte à la santé publique. »

 

Transport (page 56) : « Les transports des viandes provenant des localités voisines s’effectuent à l’aide de charrettes découvertes dans lesquelles elles se trouvent souvent entassées avec des substances susceptibles de hâter leur décomposition, telles que peaux, suifs, etc…

 

Echaudoirs (page 56)  : « Les échaudoirs, endroits où sont échaudées, lavées et préparées toutes les issues d’animaux qui entrent dans le commerce des tripiers. Les eaux de lavages entraînent beaucoup de matières animales faciles à s’altérer en se putréfiant promptement ; d’un autre côté, les vapeurs qui sortent répandent une odeur fade et nauséeuse… »

 

Halle aux viandes (page 54) : « Quant à la halle où se vend la viande de la banlieue, c’est un édifice qui n’est point approprié à la destination. Sa hauteur n’est pas assez considérable. Le sol est une terrasse (terre) qui s’oppose à toute espèce de lavage. Il y existe, le long des murs, de larges crevasses qui donnent passage à un grand nombre de rats qui viennent pendant la nuit dévorer les viandes qu’on y laisse. »

 

Poissonnerie (page 94)  : « La poissonnerie, ce foyer d’infection. Il est de notoriété publique que ce marché est souvent inabordable, que les poissons s’y putréfient promptement en toute saison, et que pendant les chaleurs de l’été, il en sort une odeur tellement repoussante, que les ménagères y passent très rapidement dans la crainte d’être suffoquées. »

 

Les rues (page 91) : « Rue Milieu-Fardel. Entre la maison Fesser et la maison voisine, on a couvert un passage qui sert à déposer les ordures des locataires et les fumiers provenant d’une écurie qui ouvre dans le passage. C’est un infect. Nous demandons qu’on démolisse la couverture prête à tomber, et qu’on supprime ce dépôt de fumier.

 

Même rue, N°10 : Cour dégoûtante, odeur repoussante, liquides sans écoulement.
La cour du four Fardel, mal pavée, est remplie de cloaques contenant des liquides corrompus et stagnants qui proviennent de retraites ; l’écoulement des eaux est devenu impossible, par suite du mauvais état du pavé de cette cour.

 

Place au lin, N°3 : Nous avons trouvé une cour intérieure couverte de matières fécales et donnant incessamment passage aux saletés qui débordent de latrines complètement remplies et très mal établies. Il est urgent de faire vider ces lieux d’aisances et de les faire établir dans de meilleures conditions. »

 

page 81 : « Nous avons trouvé dans certains quartiers, notamment dans la rue St Gouéno, des réceptacles formés d’un espace d’un à deux mètres laissé entre deux maisons, et sur lequel espace se desservent tous les cabinets d’aisances des appartements, bien souvent sans qu’un tuyau de chute conduise les matières jusqu’au bas.
Dans une autre série d’habitations, les cabinets d’aisances sont simplement placés sur des fosses à ciel ouvert. Dans d’autres, les fosses se composent d’un tonneau fiché en terre à quelques décimètres à peine de profondeur. Enfin, il est telles maisons qui, n’ayant pas de fosses d’aisances, obligent leurs habitants à opérer sur la voie publique toute espèce de dépôts immondes. »
Fabrication de fumier (page 82) : « dans une quantité considérable de cours intérieures, nous signalerons, entre autre, la cour de la maison portant le N° 1 rue Grenouillère, jouie par le sieur Baudret, où il existe une véritable fabrique de fumier, sur lequel on répand, chaque jour, une assez grande quantité de matières fécales.
Dans la vallée de Gouédic, maison sans numéro, occupée par François Quintin, nous avons trouvé une vache partageant les droits du foyer. Ici le fumier se fabriquait dans la maison même d’habitation.
Rue aux chèvres, dans d’autres cours intérieures, nous avons rencontré la présence d’une industrie aussi préjudiciable à la salubrité des maisons. Elle consiste dans l’élevage d’animaux domestiques, comme porcs, lapins, pigeons, etc. Ces animaux grouillent pêle-mêle au milieu des cours qui leur servent d’étable ; il en résulte des émanations fétides et malsaines qui pénètrent dans tous les appartements dont les fenêtres s’ouvrent sur ces cours.

 

Place du Marché au Blé, N° 4  : Dans une deuxième cour, il existe une fabrique de fumiers composés avec les immondices des locataires nombreux de cette maison, les fumiers de cochons mélangés avec la litière sortant des écuries de l’hôtel Soubiante. Une cavité pratiquée dans la cour reçoit toutes les ordures, et pour hâter la fermentation de ce fumier, on l’arrose fréquemment avec les liquides infects qui en sortent. Nous avons remarqué dans cette cour une fosse morte parfaitement sèche, avec latrines. Le fabriquant de fumier nous a signalé l’inutilité de ces lieux d’aisances. Dans les temps chauds et humides, l’odeur intolérable qui s’échappe de cette cour oblige les voisins à fermer portes et fenêtres. »

 

Porcheries (page 87) : « Nous croyons devoir vous entretenir d’un abus qui existe à St Brieuc dans le régime des porcheries et des tueries de porcs qui se trouvent disséminées dans presque tous les quartiers de la ville. Ces porcheries sont très dangereuses par les matières fétides qui en proviennent ; quelque soin que l’on prenne pour y entretenir la propreté, l’odeur la plus désagréable s’en échappe ; le bruit que font les animaux qu’on y tient enfermés incommode les voisins, les cris déchirants qu’ils font entendre lorsqu’ils sont abattus redoublent cette incommodité et impressionnent péniblement. De plus les fumiers s’amoncellent dans les maisons des individus qui exploitent cette industrie. »

 

Egouts et latrines (page 88) : « de la rue Jouallan à la rue St Gouéno : c’est un véritable cloaque dans tout son parcours. Il est à découvert et charrie les matières fécales des latrines publiques de la rue Jouallan, situées au pignon de la maison Joly. Les riverains de la rue St Gouéno déversent, dans cet égout, le produit de leurs lieux d’aisances et y jettent des objets de toute nature. Aussi, lorsqu’on traverse cette dernière rue au moment de certaines variations atmosphériques, l’odorat est-il péniblement affecté par l’odeur d’ammoniaque, d’hydrogène sulfuré et de sulfhydrate d’ammoniaque qui se dégage….. » L’égout qui existe sur la place de la Préfecture, et dont le regard se trouve placé à l’angle de la maison Prud’homme, exhale fort souvent une odeur infecte qui s’étend même dans un assez grand rayon. Les matières organiques et surtout les matières fécales provenant de la maison Prud’homme, charriées dans ce conduit, y sont probablement retenues, soit par un défaut de pente, soit par son peu de largeur, et finissent par l’obstruer. Le nettoyage ne s’en opérant que par les eaux pluviales, il en résulte que, dans certains moments de l’année, il existe constamment une odeur méphitique dangereuse pour les voisins et incommode pour les passants. » Recherches des causes d’émanations fétides et malfaisantes qui se dégagent incessamment du canal qui vient se déverser dans le Lingoyet, sous la maison de M. Dalmar, rue St-Gouéno, … ce canal, qui part de la maison N° 16 rue St Guillaume, est à couvert jusqu’aux latrines de l’ancien Séminaire ; il est ensuite complètement dépourvu de couverture dans une longueur d’environ 100 mètres, dans tout son parcours dans la rue St-Gouéno ; sa pente est assez faible, son radier, qui est en fort mauvais état, se trouve encombré par des débris d’objets de diverse nature ; les eaux y restent en stagnation, y croupissent ; les matières fécales qui y sont déversées par tous les riverains l’encombrent en divers endroits et il s’en exhale une odeur infecte.

La disposition des latrines, dont quelques-unes n’ont même pas de tuyaux de descente, n’est pas moins contraire à la salubrité qu’à la décence, attendu que ces points sont accessibles à la vue pour les personnes qui traversent la rue St Gilles… »

 

Ce même canal de la maison Dalmar jusque la rue Traversière reste à ciel ouvert jusqu’à la porte placée vers le milieu de la rue Traversière pour en cacher l’aspect dégoûtant, cet égout, placé au milieu du quartier le plus populeux de la ville, en est une des principales causes d’insalubrité : il répend au loin les gaz méphitiques qui s’en dégagent. A partir de la rue Traversière, ce canal est couvert jusqu’au regard pratiqué sur le milieu de la place Neuve de Gouët. Ce cratère, destiné à recevoir les immondices de ces quartiers, et les intestins des gros poissons éventrés dans la poissonnerie, vomit constamment des colonnes d’air d’une odeur repoussante, qui incommodent journellement les habitants de cette place et vicient l’atmosphère ambiante. »

 

page 86 : « les latrines du Champ de Mars récemment construites, près la caserne, sont fort mal agencées. Il serait nécessaire de faire élever, dans chacune d’elles, une murette à la hauteur de 50 centimètres environ, surmontée d’un bois arrondi à sa partie supérieure, afin de donner un point d’appui à ceux qui satisfont un besoin naturel, et aussi afin que les excréments soient projetés dans les fosses, tandis que maintenant c’est le sol de ces lieux qui est destiné à cet usage. »

 

 

Habitations (page 91) « Rue Vieille de Gouët. Il faudrait ici la plume de l’auteur des Mystères de Paris pour dépeindre, dans toute son horreur, l’aspect si affligeant, pour l’humanité, de toutes les souillures de cette rue, où grouillent 15 à 18 cents habitants ! Nous allons cependant chercher à faire connaître à quel degré d’abjection l’espèce humaine peut descendre.

 

On entre dans ces bouges par des allées étroites, à parois décrépites. Ces allées obscures, terrassées, sont maculées de matières repoussantes ; une rigole livre passage aux liquides sans nom qui descendent d’une cour sans latrines et qui reçoit tous les produits nocturnes des locataires. Des retraites à porcs, le plus souvent en ruines, entourent ces cours infectes et viennent ajouter à l’insalubrité de ces logements. Toutes les pièces de ces habitations sont presque toujours terrassées, et sont saturées, depuis le premier occupant, de fluides impurs d’où s’exhalent des gaz méphitiques qui vicient l’air des appartements.

 

Ces maisons contiennent jusqu’à 48 personnes. Les enfants des deux sexes y couchent pêle-mêle sur des grabats boiteux, composés d’une litière de paille noire, hachée et humide ; les parasites immondes des caravansérails y ont acquis domicile.

 

Tel est le tableau affligeant des maisons portant les N° 16, 22, 44, 46 & 48.
Le côté gauche de cette rue présente un autre genre d’insalubrité : plusieurs rez-de-chaussée, devenus caves depuis l’exhaussement du pavé, sont habités. Ces réduits ne reçoivent d’air que par des soupiraux, ils sont constamment privés de soleil. En poursuivant nos recherches, nous sommes arrivés au N° 55. Après avoir descendu 15 ou 20 marches, nous avons pénétré dans une venelle étroite, garnie à l’extérieur d’une petite murette et bordée à l’intérieur par des logements souterrains ne recevant d’air que par la porte. Là végètent plusieurs familles indigentes. Ces malheureux ont tellement besoin d’oxygéner leurs poumons, qu’ils abandonnent ces bouges pendant le jour, mais en prennent la salutaire précaution d’en laisser les portes largement ouvertes ; ils n’ont rien à craindre des voleurs. »

 

Nous osons espérer que dans ces rapports très officiels, les auteurs, personnes de qualité et dignes de foi, ont quelque peu poussé au noir le tableau, dans ce vrai coup de cœur. Ceci afin de réveiller la quiétude des responsables municipaux et départementaux. Le travail de la commission n’a pas été vain, car vingt ans plus tard, on trouve encore sous la plume de M. Jules Lamarre [1] :
« La voirie municipale nous a donné dans ce siècle une propreté et une salubrité que nous jugeons quelquefois insuffisantes, mais qui émerveilleraient certainement nos pères, s’ils pouvaient visiter ce qu’on appelait de leur temps les rues aux Tanneurs, aux Toiles, l’allée Menault et la Guado. »

 

Et pourtant, à la même époque (1891), notre compatriote Arthur du Bois de la Villerabel nous laisse une description plus proche du terrible rapport mais tellement plus lyrique ! Souvenirs de jeunesse. [2]
« Un quartier vénitien. En effet, ces rues de Brest, du Ruisseau-Josse, des Pavés-Neufs, tous ces carrefours de Joualan, de la Grenouillère, de St Gouëno et de l’allée Menault, artère du centre de la cité, étaient jadis en contrebas très accentué du niveau actuel. A travers ces voies, coulaient à pleins bords, quelquefois battant le pied des maisons, quelquefois endiguées entre d’étroits trottoirs, les eaux qui descendaient des escarpements de la Coste-ès-Chevriers, de St-Père et de l’Abraham (quartier d’Orléans), grosses des Ingoguets ou égouts d’alentour. Et tout cela venait s’engouffrer dans cette Allée Menault que nous serions tenté d’appeler le Grand Canal de cette Venise de contrebande . »

 

Michel LE CHAPELIER


Dessin et cartes postales issues du fonds conservé par les Archives départementales des Côtes d’Armor.

[1Histoire de la ville de Saint-Brieuc. 1884, Jules LAMARE

[2A travers le vieux Saint-Brieuc. 1891, Arthur du BOIS de la VILLERABEL






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